Tutoyer ou vouvoyer : un enjeu culturel… et commercial
7 octobre 2025En français, nous avons ce privilège ( ou cette complexité ) d’avoir le choix entre deux registres pour s’adresser à quelqu’un : le vous, marque de respect et de distance, et le tu, marque de proximité et de familiarité. Cette nuance n’est pas universelle. En anglais, par exemple, il n’existe qu’un seul « you », utilisé en toutes circonstances. En espagnol, en italien ou en allemand, cette dualité existe également : « tú » et « usted », « tu » et « Lei », « du » et « Sie ». Chaque langue y projette son rapport à l’autre, au statut et à la culture.
En France, les usages varient selon les milieux. On vouvoie naturellement dans le monde institutionnel, avec les décideurs plus âgés, dans les environnements hiérarchisés. Le tutoiement s’impose plus facilement dans les start-up, le sport ou encore dans le monde associatif.
De mon côté, après avoir vécu six ans au Québec, j’ai découvert un rapport très différent à la langue. Là-bas, le vouvoiement existe à peine en français. Le tutoiement est quasi immédiat, dans la vie sociale comme professionnelle. Et il se décline avec des tournures aussi déconcertantes qu’attachantes :
- « Fumes-tu ? » – jusque-là, rien de choquant, juste la tournure correcte.
- Mais pour demander si tu as vu quelqu’un, cela devient : « T’as-tu vu Jeff ? ». Au début, ça surprend. Puis on s’y fait !
- Plus déconcertant le : « Ça se peut-tu ? », qui veut dire « C’est possible, ça ? » ou « Mais non, c’est pas vrai ! ».
Ces expressions m’ont beaucoup interpellées : elles rappellent que le tutoiement peut être à la fois naturel, spontané et profondément culturel.
Pour préparer cet article, j’ai lancé un sondage sur LinkedIn pour connaître vos ressentis. Vous avez été 58 à participer — un grand merci à toutes celles et ceux qui ont pris le temps de répondre 🙏 Voici les résultats à la question : Tutoyer un client, c’est…
- Prendre un risque : 43 %
- Une façon de créer du lien : 36 %
- Un vrai casse-tête : 21 %
Les réponses reflètent bien la réalité : il n’existe pas de vérité absolue. Près d’un professionnel sur deux voit le tutoiement comme risqué, un tiers y perçoivent une façon de rapprocher la relation, et les autres reconnaissent qu’au fond, c’est un vrai casse-tête. Cette diversité d’opinions illustre à quel point le sujet dépend du contexte, de la génération et de l’intelligence situationnelle.
Dans la vente, le dilemme est bien réel. Nous savons que le ton adopté dès les premières minutes d’une relation peut conditionner la suite. Le tutoiement peut accélérer la proximité… ou, au contraire, créer une gêne. Les plus jeunes commerciaux, habitués à tutoyer sur les réseaux sociaux, prennent parfois le risque de s’adresser trop familièrement à des interlocuteurs d’une autre génération. Résultat : une porte qui se ferme avant même d’avoir pu présenter la solution.
À l’inverse, dans certains secteurs comme le BTP, le tutoiement est généralisé. On pourrait croire qu’il facilite la relation ; je pense plutôt qu’il lui a fait perdre un peu de professionnalisme. Quand tout le monde se tutoie, le tutoiement ne crée plus de lien : il devient la norme, et rend plus difficile les discussions « sérieuses ».
Pour ma part, je reconnais que je tutoie parfois trop vite. À 58 ans, la plupart de mes interlocuteurs sont plus jeunes que moi, et le tutoiement me vient naturellement. Pourtant, j’ai appris que commencer par le vous reste souvent un choix plus sûr. Le « vous » n’a jamais blessé personne. Le « tu », lui, peut encore heurter.
Et surtout, que j’emploie l’un ou l’autre ne change rien à mon attitude. Je ne me permets pas plus de familiarité, je ne considère pas la relation comme différente.
Notre belle langue nous offre cette dualité subtile. À nous, commerciaux, de savoir en jouer avec finesse. Parce qu’au fond, ce n’est pas le mot qui crée le lien, mais l’intention qui l’accompagne. Commencer par « vous » laisse la porte ouverte à un futur « tu », quand la confiance s’installe et que la relation le permet.
👉 Et vous, comment gérez-vous cette nuance dans vos échanges commerciaux ? Vous commencez par « vous »… ou vous osez le « tu » dès le premier contact ?